Réductions groupes-cibles pour premier engagement – que faire en cas de décision de refus de l’ONSS?

Réductions groupes-cibles pour premier engagement – que faire en cas de décision de refus de l’ONSS?

1.

Les nouveaux employeurs peuvent prétendre, à certaines conditions, pour les six premiers travailleurs qu’ils engagent, à une réduction groupes-cibles des cotisations de sécurité sociale. De plus, ils peuvent  prétendre à une intervention de l’ONSS dans les frais administratifs qu’ils doivent à leur secrétariat social pour ces travailleurs1.

En quoi consiste ce système2?

  • A partir du 1 janvier 2016, une réduction groupes-cibles s’applique pour le premier travailleur qui est engagé. Celle-ci équivaut à une complète exonération des cotisations patronales de base. Cette réduction est d’application à partir du trimestre pendant lequel l’employeur prend en service le premier travailleur et cela durant la durée totale de l’emploi du premier travailleur.

  • Du deuxième au sixième travailleur, l’employeur a droit à une réduction forfaitaire par trimestre durant le trimestre de l’embauche et les treize trimestres qui suivent. Le montant de la réduction forfaitaire dépend aussi du travailleur et diminue avec le temps.
  • A partir du deuxième travailleur, ces réductions groupes-cibles doivent être prises dans la période de vingt trimestres qui commence à courir à partir du trimestre pendant lequel l’employeur avait droit à la réduction pour le premier. La réduction n’est pas liée à un travailleur déterminé. En d’autres termes, l’employeur peut choisir pendant quel trimestre et pour quel travailleur il applique la réduction.

 

2.

Ce système peut donc paraître attrayant, si ce n’est qu’aujourd’hui de nombreux employeurs sont confrontés à des  décisions de l’ONSS, aux termes desquelles l’avantage des réductions groupes-cibles leur est refusé.

Le motif le plus souvent évoqué à cet égard par l’ONSS est que le(s) travailleur(s) pour le(s)quel(s) la réduction est demandée remplace(nt) un travailleur qui était déjà employé dans la même unité technique d’exploitation. Dans un tel cas, l’employeur n’est pas considéré comme “un nouvel employeur”.

De telles décisions mènent à l’établissement d’un avis rectificatif par lequel il est demandé à l’employeur les réductions de cotisations de sécurité sociale et de frais administratifs dont il a indûment bénéficié.

Pour les employeurs, cela peut conduire à une situation très ennuyeuse étant donné que les réductions groupes-cibles sont en principe appliquées par les secrétariats sociaux dès le début de l’activité, avant que l’ONSS ne se soit prononcée à propos de la demande. Un aspect qui est encore plus ennuyeux est que l’ONSS ne prend pas toujours ses décisions très rapidement. Des situations dans lesquelles l’employeur doit soudainement rembourser plusieurs trimestres de cotisations sociales ne sont donc pas rares.

Nous vous éclairons sur cette problématique ci-dessous.

3.

Pour pouvoir prétendre aux réductions groupes-cibles, l’employeur doit être un “nouvel employeur”.

A cet égard, l’article 344 de la Loi-programme du 24 décembre 2002 dispose que les travailleurs pour lesquels une réduction groupes-cibles est demandée ne peuvent pas remplacer un travailleur qui a été occupé au cours des quatre trimestres précédents dans la même unité technique d’exploitation.

« L'employeur visé à l'article 343 ne bénéficie pas des dispositions du présent chapitre si le travailleur nouvellement engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité d'exploitation technique au cours des quatre trimestres précédant l'engagement. »

La philosophie de cette règle est évidente. Elle sert en effet à éviter les situations dans lesquelles une entreprise créerait une filiale, au sein de laquelle les nouveaux travailleurs seraient engagés pour pouvoir ainsi bénéficier des réductions, sans qu’il ne s’agisse d’une véritable création d’emploi.

Toutefois, la loi ne définit pas ce qu’il y a lieu d’entendre par “unité technique d’exploitation”.

4.

En l’absence de définition légale de la notion d’ ”unité technique d’exploitation”, l’ONSS établit ses propres critères afin de déterminer si des entreprises forment une “unité technique d’exploitation”. Ceux-ci se trouvent dans les instructions administratives de l’ONSS. Ces critères sont les suivants:

6.

La seule loi dans laquelle la notion d’“unité technique d’exploitation” est définie est la Loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie (art. 14).

Cette loi dispose entre autre que les élections sociales doivent être organisées[3] au niveau de l’unité technique d’exploitation.

Selon la loi de 1948, il est question d’ ”unité technique d’exploitation” lorsqu’il existe une cohésion économique et sociale entre les entreprises concernées. Il sera notamment examiné:

8.

Les décisions concernant la notion d’unité technique d’exploitation dans le cadre de cette matière sont plutôt rares.

Les quelques décisions existantes confirment à juste titre que les critères que l’ONSS applique n’ont pas de fondement légal et que les juridictions du travail ne sont, par conséquent, pas liées par ces critères.

La Cour du travail de Bruxelles a ainsi jugé le 14 juin 2012[4]:

11.

Les employeurs qui sont confrontés à de telles décisions négatives peuvent toujours les contester devant le tribunal du travail. De telles contestations doivent être introduites endéans les trois mois à partir de la notification de la décision[6].

Les chances de succès de telles contestations dépendront de la situation concrète. Dans la pratique, le juge devra examiner dans quelle mesure les deux entreprises sont interdépendantes économiquement et socialement. Le simple fait que les deux entreprises aient les mêmes administrateurs ou travailleurs n’est pas selon nous suffisant pour conclure à l’existence d’une même unité technique d’exploitation.

Au plus l’employeur pourra fournir des éléments qui démontrent une distinction entre les deux entités, au plus les chances de succès de sa contestation seront élevées. A cet égard, l’employeur pourra par exemple expliquer que les deux entreprises:

  • A partir du 1 janvier 2016, une réduction groupes-cibles s’applique pour le premier travailleur qui est engagé. Celle-ci équivaut à une complète exonération des cotisations patronales de base. Cette réduction est d’application à partir du trimestre pendant lequel l’employeur prend en service le premier travailleur et cela durant la durée totale de l’emploi du premier travailleur.

  • Du deuxième au sixième travailleur, l’employeur a droit à une réduction forfaitaire par trimestre durant le trimestre de l’embauche et les treize trimestres qui suivent. Le montant de la réduction forfaitaire dépend aussi du travailleur et diminue avec le temps.
  • A partir du deuxième travailleur, ces réductions groupes-cibles doivent être prises dans la période de vingt trimestres qui commence à courir à partir du trimestre pendant lequel l’employeur avait droit à la réduction pour le premier. La réduction n’est pas liée à un travailleur déterminé. En d’autres termes, l’employeur peut choisir pendant quel trimestre et pour quel travailleur il applique la réduction.

  1. Qu’est-ce qu’un “nouvel employeur”

  2. Critère social:

    Est-ce que les deux entreprises sont liées par au moins une personne commune qui est/était active dans les deux entreprises (simultanément ou successivement) ?

    Cette personne peut être selon l’ONSS le chef d’entreprise, mais aussi un travailleur.

  3. Critère économique:

    Est-ce que les deux entreprises ont une base socio-économique commune? A cet égard, l’ONSS regarde entre autres :

    1. Le lieu où les activités sont réalisées ;

    2. La nature des activités;

    3. Le matériel d’entreprise. Est-il entièrement ou partiellement commun?

      Il est évident que les critères appliqués par l’ONSS sont très larges, de sorte que beaucoup d’entreprises constituent une même unité technique d’exploitation selon ces critères.

      5.

      Cependant, ces critères n’ont aucune base légale, raison pour laquelle la (rare) jurisprudence n’est pas vraiment disposée à les appliquer tels quels.

      Il existe des décisions rendues par les juridictions du travail et la Cour de Cassation selon lesquelles ces critères doivent être rejetés.

       

  4. La définition de la notion d’ “unité technique exploitation” dans le contexte de la Loi portant organisation de l’économie ne peut-elle pas être appliquée ?

  • Si elles font partie du même groupe, si elles ont les mêmes gérants ou administrateurs, si elles ont les mêmes associés;

  • Si elles exercent des activités économiques identiques ou similaires;

  • Si elles ont la même politique de personnel, si elles appliquent les mêmes conditions salariales, etc.

    7.

    La question se pose de savoir si cette interprétation peut également être appliquée à la notion d’unité technique d’exploitation telle que prévue par la réglementation en matière de réductions groupes-cibles pour les premiers engagements.

  • Que dit la jurisprudence?

  • Que le but du législateur était que seuls les “nouveaux employeurs” puissent faire usage des réductions de groupes-cibles.

  • Que le but ne peut pas être que l’ONSS développe elle-même une série de critères qui serviraient de points de référence au juge pour la non-application des dispositions légales.

  • Que les critères de l’ONSS sont par conséquent trop larges, en ce qu’ils couvrent beaucoup trop de situations.

  • Que l’inspiration peut être recherchée dans l’interprétation de la notion d’ “unité technique d’exploitation” telle qu’elle figure dans la loi de 1948.

    Selon la Cour du Travail il convient d’examiner s’il existe une cohésion sociale et économique entre les entreprises concernées.

    En outre, l’interprétation de l’ONSS, selon laquelle il devrait déjà être question d’interdépendance sociale entre deux entreprises lorsque ces entreprises sont liées par au moins une personne commune - qui selon l’ONSS peut être un administrateur ou un chef d’entreprise, mais aussi un travailleur –, a été rejetée par la Cour.

    Dans son arrêt, la Cour du Travail de Bruxelles a ainsi jugé que:

    “Het Hof begrijpt niet dat de omstandigheid dat eenzelfde persoon bestuurder is van twee verschillende vennootschappen een sociaal criterium zou uitmaken dat, ook in het kader van de Programmawet van 24 december 2002, er zou toe leiden dat er sprake is van eenzelfde technische bedrijfseenheid. Een sociaal criterium verwijst noodzakelijk naar de samenhang tussen personeelsleden van verschillende (juridische) entiteiten.”

    (Arbeidshof Brussel 14 juni 2012, J.T.T. 2012, 450-452.)

    Traduction libre:

    « La Cour ne comprend pas que la circonstance qu’une même personne soit l’administrateur de deux sociétés différentes serait constitutive d’un critère social et que ceci, également dans la cadre de la Loi-programme du 24 décembre 2002, mènerait à la conclusion que ces deux entreprises devraient être considérées comme une même unité technique d’exploitation. Un critère social renvoie nécessairement à la cohésion entre les membres du personnel de différentes entités (juridiques). »

    9.

    La Cour de Cassation estime, en ce qui concerne l’interprétation de la notion d’ “unité technique d’exploitation”, qu’il doit être fait un examen in concreto au moyen des différents critères économiques et sociaux si deux entreprises ou plus sont interdépendantes économiquement et socialement.

    Ainsi le Cour de Cassation a jugé le 29 avril 2013[5]:

    “Voor de toepassing van artikel 344 Programmawet I van 24 december 2002 dient het bestaan van een technische bedrijfseenheid bepaald te worden op grond van sociale en economische criteria. Dit betekent dat nagegaan moet worden of de entiteit waarin de nieuw in dienst genomen werknemer wordt tewerkgesteld, sociaal en economisch verweven is met de entiteit waarin, in de loop van de twaalf maanden voorafgaand aan zijn indienstneming, een werknemer werkzaam is geweest die hij vervangt.”

    Traduction libre:

     « Pour l’application de l’article 344 de la Loi-programme I du 24 décembre 2002 l’existence d’une unité technique d’exploitation doit être déterminée sur base de critères sociaux et économiques. Cela signifie qu’il doit être examiné si l’entité dans laquelle le travailleur nouvellement engagé est employé est interdépendante socialement et économiquement avec l’entité dans laquelle, au cours des douze mois précédant son entrée en service, un travailleur qu’il remplace a été occupé. »

         

L’évolution actuelle que nous constatons au niveau des décisions de l’ONSS indique que la jurisprudence susmentionnée n’empêche pas l’ONSS de continuer à fonder ses décisions sur ses propres critères.

 

Ces critères ont pour conséquence que l’ONSS décidera assez facilement que :

  • Deux entreprises constituent une même unité technique d’exploitation.
  • Les travailleurs qui ont été engagés par une des entreprises remplacent en réalité des travailleurs de la première entreprise sans qu’il n’y ait de création d’emploi.
  • Par conséquent, l’employeur n’est pas un “nouvel employeur” donc il ne peut pas prétendre aux réductions groupes-cibles.
  • Ont une activité différente.
  • Ont une autre identité.
  • Ont d’autres administrateurs et/ou actionnaires.
  • Tiennent une comptabilité séparée.
  • Ont une base de données du personnel différente.
  • Mènent une politique RH différente.
  • N’ont pas d’organe de concertation commun (conseil d’entreprise/CPPT).
  • Tombent sous une commission paritaire différente.
  • Etc.

12.

Pour conclure, nous soulignons que la contestation introduite par l’employeur n’a pas d’effet suspensif. Dans l’attente d’une décision du tribunal du travail, l’employeur devra donner suite à l’avis rectificatif et payer les cotisations sociales.


  • [1] Articles 342 à 345 de la Loi-programme I du 24 décembre 2002

    [2] Article 16 de l’Arrêté royal du 16 mai 2003 pris en exécution du Chapitre 7 du Titre IV de la Loi-programme I du 24 décembre 2002.

    [3] Cela concerne les élections quadriennales par lesquelles les membres du conseil d’entreprise et du comité pour la prévention et la protection au travail sont élus.

    [4] Cour du travail de Bruxelles, 14 juin 2012, J.T.T. 2012, 450-452.

    [5] C. Cass. 29 avril 2013, S.12.0096.N., www.juridat.be

    [6] Article 23 de la Charte de l’assuré social.